L’un des problèmes les plus récurrents dans l’abord de l’œuvre de Freud est celui du paradigme à l’aune duquel il rend compte de son observation clinique et qui, comme nous le verrons, en occulte la nouveauté. Car le génie de Freud n’est pas seulement lié à la mise en forme d’une méthode inouïe d’investigation portant le nom spécifique de « psychanalyse », il est aussi et avant tout lié à sa sagacité d’avoir osé penser les conditions de possibilité de l’expérience, non dans l’horizon de la connaissance et donc de l’établissement du sujet (universel) du savoir objectif, mais à partir de l’épreuve singulière de satisfaction induite par la rencontre originelle d’un autre : Befriedigungserlebnis où Erlebnis (à la différence de Erfahrung) signifie l’événement vécu d’où s’ensuit, par sa répétition, l’institution du sujet
Freud nous invite donc à une rupture complète avec la tradition qui, jusqu’à Husserl inclus, était rivée à la question des conditions du savoir, sans voir que celles-ci supposaient des proto-conditions liées aux conditions contingentes (Freud dit arbitraires) de l’épreuve originelle de satisfaction dont il nous est précisé, au § 11 de l’Entwurf, qu’elle repose sur l’intervention d’un Autre et donc sur sa manière d’être et de dire.
Il serait hâtif de réduire ce point de vue à l’aube de la pensée de Freud ; il en est le cœur comme l’exposent la Traumdeutung de 1900, les Formulierungen de 1911, la Verneinung de 1925, etc. Il n’y a de sujet que parce qu’il y a répétition de l’épreuve de satisfaction originelle : le sujet n’est ni une forme a priori opérant la synthèse du divers sensible (Kant) ni une fiction dérivée du flux des sensations (Hume), mais ce qui s’ensuit de cette épreuve et de sa répétition ; d’où la singularité irréductible de chacun, mais aussi et surtout d’où l’importance des modalités de cette épreuve dans la manifestation des diverses positions structurelles que sont les névroses, psychoses et perversions.
C’est le retour à ce point de vue qui définit la démarche de Lacan en l’élaborant à partir du concept de jouissance : le sujet est le corrélat de la jouissance qui, elle-même, est l’effet sur le corps du discours de l’Autre. C’est cela le sexuel : ce scandale qui surgit avec Freud dans l’histoire des idées et qui seul nous permet de penser la réalité de l’expérience effective. On le sait depuis Popper, si Kant avait vu juste, Adam aurait déjà théorisé la loi de l’attraction universelle et le poids de l’impératif catégorique aurait depuis longtemps levé nos inclinations singulières : s’il a fallu Newton pour édifier la première et si la justice n’en finit pas de régler les secondes, c’est que l’idéalisme ne saurait servir de paradigme pour la philosophie tant théorétique que pratique.
Une incise de Freud dans les Trois essais, dont Lacan fait abondamment son miel ; « elle considère ses actes comme “pur amour asexuel” », double rapport intentionnel de la mère avec son enfant dont l’un est conforme aux usages, consenti, ekousion, dit Aristote, et à ce titre absolument conscient, et l’autre, non : « Die Mutter serait effrayée si on lui expliquait qu’avec ses marques de tendresse, elle éveille la pulsion sexuelle de son enfant, double rapport intentionnel qui permet simultanément, et nous anticipons ici Elizabeth Anscombe, de décrire l’action de la mère de deux manières différentes.
Mais, bien sûr, Freud fut le fils de son temps et la reprise théorique de son observation clinique s’est effectuée à partir des termes de l’arrière-plan naturaliste de son époque et surtout de sa formation ; d’où la confusion qui s’en est suivie facilement et dont témoigne la fixation dogmatique qui fut à l’œuvre chez ses disciples avec pour conséquence la fossilisation de la méthode.
Mon propos est donc de lire Deuil et mélancolie : une chose est de se référer à l’idéal méthodologique des sciences de la nature, une autre de réduire l’esprit à un objet comme n’importe quel objet du monde, ce que proposent les neurosciences actuelles. Meynert est plus proche d’Herbart et Schopenhauer que de Chomsky, Fodor ou Kim, « idée » aux « paroles qui ne ressemblent en aucune façon aux choses qu’elles signifient » ou « à tout ce que nous concevons par la pensée, et surtout qui définit la pensée non comme un regard intérieur mais comme « ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes. Que Descartes soit flou ne s’ensuit pas qu’il faille lui assigner une responsabilité qui ne lui appartient pas et que sa célèbre prosopopée : « Sed quid igitur sum ? Res cogitans. Quid est hoc ? Nempe dubitans, etc., invalide : le sujet cartésien existe non en regardant à l’intérieur de lui, mais en s’exprimant en 1re personne à un autre.)
Or, s’il n’y avait pas eu le geste lockien, y aurait-il eu celui de Leibniz montrant que les limites ou les imperfections du regard intérieur inventé par Locke obligent à penser la réalité de petites perceptions y échappant ? Origine de la notion d’inconscient dont on en connaît le succès puisque même Kant s’en fait l’ardent défenseur : qu’est-ce qui fait que nous n’avons pas conscience des intentions de certaines actions ? C’est à cette question que nous allons nous atteler.
Donc, à la sphère soumise au regard intérieur lockien est ajoutée une sphère qu’il ne pénètre pas mais qui ne se manifeste pas moins par l’effet de la force qui les organise toutes deux. Aussi, quand Herbart publie en 1824 sa Psychologie als Wissenschaft, on pourrait croire que la conceptualité freudienne y est déjà pour l’essentiel est pour les Grecs un terme religieux….
Or, que le sexuel soit enfermé dans le solipsisme lockien en dénature l’enjeu, ce que nous allons voir avec notre lecture de Deuil et mélancolie.
D’emblée, Freud y écrit qu’il y a « des formes cliniques diverses de la mélancolie dont il n’est pas certain qu’on puisse les rassembler en une unité ». Or, cette proposition épistémique qui montre la singularité du cas (qui ne peut être subsumée sous une généralité) n’est pas incompatible, pour Freud, avec la saisie, sous la diversité, d’un dénominateur commun : à chaque fois se retrouve la perte de l’estime de soi, de sorte que ce que nous appelons « mélancolie » n’est pas sans rapport avec un quelque chose appelé « la perte l’estime de soi ».
Il n’a pu échapper à Freud, lecteur de Hume, que la « perte de l’estime de soi » est une passion, une émotion, suscitée par un autre et exprimée, y compris dans le soliloque, à un autre susceptible d’entendre : si je suis en colère, c’est que je le suis contre x car x a encore fait ceci ou cela qui suscite ma colère et je l’exprime à tout autre susceptible de m’entendre ; lorsque je suis en colère, je n’ai pas en moi un objet « la colère » que j’aurais regardé avec un œil intérieur et que je montrerais au dehors : j’exprime, comme le montre Aristote dans Rhétorique II, l’effet de x sur moi.
Nos émotions ne sont rien d’autre que l’effet d’une situation, y compris lorsqu’on ex-prime des traits dits mélancoliques, en l’occurrence la perte de l’estime de soi.
Freud repère cet effet de la situation sur nous puisqu’il évoque un événement d’où s’ensuivrait l’émotion mélancolique, et c’est pour arriver à cerner cet événement qu’il reprend l’analogie classique entre deuil et mélancolie en supposant que leurs différences seraient susceptibles d’expliquer leurs raisons, même si Freud parle de causes.
Dans le deuil, il y a perte d’un objet aimé (réel ou idéal), dans la mélancolie, il y a perte de l’estime de soi. À cette occasion, Freud fait comme si le patient avait eu une perception interne de son moi : « Dans le deuil, écrit-il, le monde est devenu pauvre et vide, dans la mélancolie, c’est le moi lui-même. Le malade, ajoute-t-il, dépeint son moi comme sans valeur, incapable de quoi que ce soit et moralement condamnable : il se fait des reproches, s’injurie et s’attend à être jeté dehors et puni. Mais Freud use du langage ordinaire et sait que c’est à partir de critères externes que l’on se convainc d’être sans valeur : je suis sans valeur si je le suis pour un autre mis en position d’autorité.
Justement, pour Freud, il y aurait un événement qui serait à l’origine des reproches et des injures que le mélancolique s’adresse et qui le polarisent vers le passé, ce qui est en contradiction avec la théorie de la pulsion, de sorte, comme il l’écrit, qu’« il y a, dans la mélancolie, une défaite de la pulsion ».
La mélancolie est la démonstration que la pulsion freudienne n’a aucun rapport avec la pulsion herbartienne.
Qu’est cet événement ? Freud envisage l’hypothèse que, préalablement à la perte de l’estime de soi, il y aurait eu la perte d’un objet mais qui aurait été aimé d’un amour narcissique, c’est-à-dire comme soi-même, mode d’aimer qui rendrait l’objet ainsi aimé inconscient, mais aussi qui rendrait sa perte inconsciente.
Étrange hypothèse : d’aimer d’amour narcissique un objet rendrait cet objet comme sa perte invisibles.
Selon le type d’amour que nous portons aux autres, certains investissements amoureux dits objectaux seraient conscients et d’autres dits narcissiques non, un peu, dit Wittgenstein, comme une carie qui ne serait pas accompagnée d’un mal de dents : il y aurait la possibilité d’un « mal de dents inconscient ». « C’est justement en ce sens, écrit-il, que la psychanalyse parle de pensées inconscientes… ». Et il poursuit : « C’est seulement une nouvelle terminologie qui peut être retraduite à chaque instant dans le langage ordinaire. Expliquons : si, sous un rapport, x est mon ami et si, sous un autre, x est mon double, il suit que mon rapport intentionnel conscient à x se limite au premier rapport. Et pourquoi ? Mais tout simplement parce qu’il est le seul retenu par les usages, car, sauf cas d’espèce, on ne dit pas : « x est mon double, mais x est mon ami ».
Si, sous un rapport, x est la mère de l’enfant et sous un autre, x est la chair sur laquelle l’enfant prend appui : la voix, le regard, le sourire, la caresse de x qui soutiennent l’enfant dont cette mère jouit, il suit que si x disparaît, et même si x est remplacé, s’ajoute au deuil, la souffrance de la perte de ce qui soutenait l’existence de l’enfant. Or, si cette perte est indicible, c’est que le seul rapport intentionnel conscient retenu par les usages est le rapport à x au titre de mère ; sauf cas d’espèce, on ne dit pas qu’on a un rapport à la voix, au regard, au sourire, aux caresses de sa mère comme autant de soutiens à l’existence.
Il y a deux jours, je vois débarquer un homme de 45 ans effondré, désespéré, ayant perdu toute estime de lui, incapable de saisir les raisons de son naufrage si ce n’est que sa tante, qui l’avait élevé, venait de mourir : elle avait été le « moyeu » de son existence et depuis il n’était plus qu’une « roue folle ». Mais, ajoutait-il, pourquoi ce naufrage ? De quel amour aimais-je cette tante ? Or, comme pour l’ami et la mère que j’évoquais plus haut, c’est le statut des usages qui privilégie un rapport aux dépens de l’autre : comment voir que le lien à cette femme ne se limitait pas au rapport à la description de tante, mais incluait aussi un rapport à la description de chair ayant joui de son neveu et ayant fourni à celui-ci des éléments ayant soutenu son existence ?
Si le rapport intentionnel conscient est dicté le plus souvent par les usages, pour autant, sous une autre description, un autre rapport intentionnel est susceptible de nous lier à un ami, à une mère, à une tante. « Le malade, écrit Freud, sait sans doute qui il a perdu, mais non ce qu’il a perdu en cette personne.
C’est toute la pertinence de l’analyse grammaticale de l’intention élaborée par Wittgenstein et développée ensuite par Elizabeth Anscombe. Mais Freud met aussitôt en relief la Befriedigung qu’éprouve alors le sujet : comme si la mélancolie était l’expression en creux du mode d’expérience de satisfaction originelle constitutif de l’institution du sujet. Mais alors, la mélancolie, ne serait-elle pas l’expérience qui s’ensuit de ne s’être point séparé de l’Autre ?
Gardons à l’esprit que le syntagme verbal : « perdre l’estime de soi », énoncé en 1re personne de l’indicatif présent, est une expression et non une description. Si je vous dis : « J’ai perdu toute estime de moi », je vous exprime ce qui s’impose à moi dans les circonstances présentes, je vous dis l’effet de la situation sur moi : j’ai perdu ce qui soutenait mon existence et je l’ai perdu car je n’étais plus digne de sa jouissance ; et si je dis à n’importe qui la même expression, c’est que mon rapport à autrui ne tient plus compte de la singularité de chacun mais situe chacun à distance, comme un lieutenant de l’Autre.
Certes, on pourrait croire que Freud présente les choses comme chez Hume, que tout part de l’individu ; à ceci près, que suite à son observation clinique, il nous précise en maintes incises que tout procède de l’intervention de la « personne secourable » ayant réalisé pour l’enfant « l’action spécifique » d’où suit l’expérience de satisfaction.
Même si Freud reste humien ici ou là – ainsi quand il nous dit que tout se joue en des combats singuliers entre représentations inconscientes, c’est-à-dire à l’intérieur du sujet –, il importe de ne pas perdre de vue que cela renvoie à l’expérience avec l’Autre originel.
Si une personne de l’entourage a un tel effet lorsqu’elle (ou l’une de ses qualités) vient à disparaître, c’est qu’une des descriptions, sous lesquelles le mélancolique a eu un rapport intentionnel avec elle, avait un pouvoir, si nous suivons ici Austin, illocutoire et perlocutoire sur lui.
Que veux-je dire ? Que tout énoncé :
– fait exister dans la communauté du locuteur ce dont il est question, ainsi du mariage que prononce le maire, du baptême qu’effectue le parrain, de la promesse que formule l’ami, de l’ordre que donne le contremaître, mais aussi du marié, du baptisé, de l’ami (qui tient promesse), de l’ouvrier qui accepte l’ordre, etc. D’où il suit que l’Autre qui jouit de l’enfant, déjà en le nommant, le fait exister, et il peut d’autant plus le faire exister qu’il a l’autorité reconnue pour cela et que le contexte lui est propice : l’enfant, souligne Freud, est, au départ, dans une détresse absolue ;
– a des effets sur l’auditeur : que le maire me dise que je suis marié et me voilà prêt à partir en lune de miel, que le parrain de mon navire le baptise et me voilà prêt à appareiller, que mon contremaître me donne l’ordre de lui apporter des briques et me voilà prêt à les lui apporter, etc. D’où il suit que la manière dont l’Autre jouit de l’enfant imprime chez ce dernier un mode de jouissance singulier qui va déterminer sa manière d’être que l’on va reconnaître au premier coup d’œil dans son attitude comme dans ses symptômes.
La fonction première des expressions verbales et charnelles de la mère, si elles sont pour elle des modalités de sa jouissance, ont pour effet de faire exister son nourrisson et d’induire chez lui des manières d’agir.
Le holding et le handling de Winnicott (le fait de tenir et de manipuler le nourrisson) ne sont pas tant des opérations corporelles que langagières s’il est bien entendu que le regard, le sourire, la voix, le toucher de la mère sont déjà des éléments langagiers adressés à l’enfant.
Donc l’énoncé de la description, sous laquelle le mélancolique a eu un rapport intentionnel avec une personne de son entourage, avait la capacité de le faire exister comme de susciter chez lui des actions ; en un mot, cette personne avait une fonction de soutien et, à ce titre, de substitut maternel, fonction révélant l’absence chez celui qui exprime la mélancolie de la capacité d’être seul pour reprendre une notion de Winnicott ; à ceci près que cette absence est à mettre au débit de l’entourage familial : c’est bien parce que cet entourage ne pouvait se dispenser de la présence de l’enfant que ce dernier n’a pu se dispenser de la leur comme l’illustrent à l’excès les vieux célibataires vivant auprès de leur mère ou ces couples où chacun de ses membres est le « parent » de l’autre.
Cet effet illocutoire et perlocutoire des énoncés venus de l’Autre, Freud l’entend sans cesse dans son expérience clinique et le note, qu’on pense simplement au glance at the nose de la nurse de l’Homme aux loups transposé par homophonie dans la langue allemande en Glanz auf der Nase avec les effets qui s’ensuivent sur l’existence du patient et la réalisation de sa sexualité (1927), dans La vie sexuelle,….
Mais, ce sont aussi les différentes descriptions possibles de nos rapports intentionnels aux autres que Freud, à l’occasion, souligne. Ainsi des différents rapports intentionnels qu’entretient la Jeune homosexuelle avec son père et sa Dame.
Si cet homme qui passe dans la rue est bien le père de la Jeune homosexuelle, il est aussi le mari de sa mère qui n’a d’égards que pour sa femme qui, elle, se comporte en rivale avec sa fille et n’a de tendresse que pour ses trois garçons. Ce n’est pas seulement sous la description de père que cette jeune fille a un rapport intentionnel avec cet homme ; elle a aussi un rapport intentionnel avec lui sous la description de distributeur de phallus (ici imaginaire) puisqu’elle a assisté à la capacité de cet homme de rendre son épouse mère par trois fois d’un garçon.
Si cette femme qui accompagne la Jeune homosexuelle est bien sous une description son amie, elle est sous une autre description une « cocotte » âgée sans enfant à laquelle la jeune fille se dévoue en lui proposant de lui donner ce qu’elle n’a pas, le phallus donc, mais là sous une dimension symbolique.
Ce n’est pas au titre de père que cet homme qui jette un regard furieux à la Jeune homosexuelle importe, c’est au titre de distributeur du phallus. Semblablement, ce n’est pas sous la description d’amie que la Dame importe, c’est sous la description de « cocotte » idéalisée à laquelle la jeune fille se propose de donner le phallus.
La Jeune homosexuelle voit que cet homme, qui est par ailleurs son père, refuse de lui donner le phallus (imaginaire) susceptible de faire d’elle l’égale de sa mère et entend que cette femme, qui est par ailleurs sa Dame, refuse de recevoir le phallus (symbolique) susceptible de faire d’elle l’égale du père ; d’où il suit qu’elle n’existe plus, car recevoir ou donner le phallus, c’est, dans la communauté des hommes, y exister, le phallus étant l’objet imaginaire ou symbolique qui organise l’existence des hommes comme leurs actions, ainsi que M. Mauss en montre les règles dans son célèbre Essai sur le don où le phallus porte le nom polynésien de mana.
Qu’exprime donc la Jeune homosexuelle ? Qu’elle n’est pas plus digne de la jouissance de son père qu’elle ne l’est de celle de sa Dame, après ne pas l’avoir été de sa mère préférant pour jouir ses trois garçons alors que cette mère a dû en un temps lointain jouir de sa fille mais qu’elle a laissée choir sans lui avoir donné les moyens de tenir debout seule.
Freud, dans le cadre du Manuscrit G de 1895, en mettant l’accent sur l’absence d’objet sexuel mis en position favorable comme explication de la mélancolie, montre déjà le pouvoir illocutoire et perlocutoire d’un tel objet susceptible de faire exister comme homme ou comme femme celui qui est là concerné (1895), dans La naissance de la…. Cette remarque clinique de Freud trouve un écho dans ce que Lacan développe sur la jouissance et l’objet a, objet qui vient pour combler l’Autre et où il y va de mon existence de répondre ainsi à la convocation de l’Autre… jusqu’à ce que l’Autre en me montrant qu’il jouit ailleurs m’invite à son exemple à jouir non pas en m’offrant mais en cueillant ailleurs de quoi m’accomplir, ainsi cette boîte de couleurs qui, alors qu’il est en convalescence dans une maison de repos, convoque Matisse, boîte de couleurs qui n’est pas sans rapport avec celle qui induisait la jouissance de sa mère alors qu’il était enfant : il voyait sa mère jouir dès qu’elle la manipulait pour peindre des motifs de papier peint et il suffit de regarder les toiles de Matisse pour les y retrouver. L’objet qui vient en place de la fonction d’objet a n’est pas nécessairement un objet sexuel, comme le suppose Freud en 1895, mais un objet qui fait exister autrement qu’en s’offrant à l’Autre pour en obtenir en retour le soutien.
C’est le rapport à cet objet extérieur susceptible de soutenir l’existence qui est en défaut dans la mélancolie et s’il est en défaut, c’est qu’il était aussi sûrement en défaut pour l’Autre originel, d’où cette idée que la mélancolie se transmet dans les familles…